La paternité mise à l’honneur avec « Darons »

Loris Legnaro et David Dumont, auteurs de « Darons », nous éclairent sur la genèse de leur futur spectacle. À travers leurs propres expériences, des interviews de pères et des témoignages recueillis dans des cercles de paroles, ils déconstruisent l’image du père autoritaire et absent pour proposer une vision plus douce de la paternité.

  • Est-ce que vous pouvez vous présenter et raconter votre parcours ?
  • Loris : Je m’appelle Loris Legnaro, j’ai 29 ans et je m’intéresse à l’art en général. Depuis tout petit, j'ai un peu baigné dedans. Je fais du cirque, de la magie, je suis cracheur de feu et jongleur. J'ai fait mes études en secondaire à la Louvière, et ensuite, à Charleroi, au conservatoire Arthur grumiaux. J'étais à l’Athénée Royal Vauban en option artistique et après, j'ai passé l'examen d'entrée au conservatoire Royal de Mons où j'ai eu la chance d'être accepté dans la classe de Bernard Cogniaux où j'ai rencontré David. Je suis devenu papa le 16 octobre 2022.

    David : Je m'appelle David Dumont, je suis né à Bruxelles et j'ai grandi à Zaventem. J'ai également étudié au conservatoire de Mons. Comme disait Loris, c’est là où on s’est rencontrés. Je suis acteur et auteur et je travaille sur différents projets avec différentes compagnies et c’est la deuxième fois que je suis porteur de projet, particulièrement sur Darons avec Loris, donc qui est un projet sur la paternité. Et comme Loris, je suis jeune papa d’une petite fille de 2 ans.

  • Justement vous avez évoqué Darons, comment est né le concept de votre spectacle ?
  • David : Le concept du spectacle est encore en en élaboration. C'est pour ça qu'on est en résidence au Comptoir des ressources créatives de Charleroi afin de déterminer ce qu'on veut dire, ne pas dire, ce qui va transparaître à travers ce spectacle, trouver un fil rouge. Pour le moment, on essaie aussi de se recentrer sur nous parce que l'envie de faire ce projet est né en mai 2023 suite à un coup de téléphone qu'on a eu Loris et moi. On a partagé la même urgence de faire ce projet.

    Loris : La première envie avant tout dans ce projet, c'était de se retrouver, de travailler à 2 dans un premier temps. Je pense aussi parce qu'on est amis et artistes et on voulait retravailler ensemble. On cherchait une thématique, un projet et puis l'évidence s’est faite quand on est devenus tous les 2 papas. On partageait un peu les mêmes doutes, les mêmes questions, certaines peurs et on trouvait peu de réponses autour de nous, que ce soit des bouquins ou dans la société. Et donc est née l'envie de faire un projet autour de la place du père dans le cheminement de la grossesse, de l'accouchement et c'est quoi être papa à l'heure actuelle. C'est un thème assez vaste qui soulève plein de questions donc c'est pour ça que c'est encore en élaboration. On se questionne, on rencontre pas mal de papas qu'on interviewe pour avoir de la matière.

    David : Le processus de création est déjà en marche depuis le mois de mai et notamment par les interviews que Loris et moi moi-même nous réalisons en recueillant des témoignages de papas. On a aussi mis en place des cercles de parole dans des gîtes de naissance au cocon à Bruxelles qui est un gîte de naissance au sein de l'hôpital Erasme où nos filles sont nées et dans un second gîte de naissance à Seneffe, qui est aussi une maison de naissance.

  • Pourquoi avez-vous décidé de vous associer ? Est-ce parce que vous êtes devenus papas à la même période ou y a-t-il d’autres motivations ?
  • David : Comme disait Loris, on s’est rencontrés lors de nos études et on s’est perdus de vue parce que j’habitais à Bruxelles et Loris, dans le Hainaut. On a aussi pris des chemins artistiques différents. Notre paternité nous a rapprochés parce que c’est quelque chose de très fort qui, soudainement, nous liait. Loris, c’était mon deuxième ami proche à être papa. C’est aussi l’artiste qu’est Loris et l’association de Loris à moi qui m’intéressent. On a un langage commun et des outils communs que l’on peut mettre à profit vers un objet de création, en l’occurrence, le spectacle.

    Loris : Je rajouterai aussi qu’on s’est rencontrés lors de nos études parce qu’on a aussi une certaine fibre artistique commune. Nous avons un langage commun hérité des cultures dans lesquelles nous avons été baignées dans notre jeunesse, bien avant notre passage par le conservatoire. Nous aimons tous les deux le rap et nous avons écrit des raps ensemble. Nous avons également fait une scène ouverte il y a longtemps. L’aspect culture urbaine qu’on a à travers le rap, le corps, le mouvement et la danse nous parlent.

    David : À travers l’objet théâtral et nos choix artistiques, on devient des spécialistes d’une thématique le temps d’un projet et on en ressort grandit. Par exemple, j’ai réalisé un projet sur les menstruations des ados et ça a d’autant plus de sens comme j’ai une fille. Avant ce projet, j’étais totalement désarmé et maintenant, je sais que lorsqu’elle aura ses règles, je serai apte à lui en parler.

    Loris : Au-delà du fait d’être papas, il y a cette question du rôle du père. Ce qui nous rapproche autour de ce projet, c’est quel papa on pense être ou voudrait être. Nous avons eu des séances d’information au Cocon et nous avons vraiment pris conscience que le père a une place importante. Il n’a pas une place à prendre, il l’a sa place.

  • Pourquoi avoir choisi le nom «Darons » et non pas «papas » ou encore « les pères » ?
  • David : Je pense que c’est venu comme ça. Nous sommes des « vieux jeunes » et c’est un mot que j’employais. Avec Loris, nous nous sommes renseignés sur l’étymologie du mot. « Daron » est très ancien et a recouvert beaucoup de significations comme chef de gare, tenancier de bordel et patriarche. Le spectacle est dédié au public à partir de 14 ans et certains ados vont devenir parents un jour. J’aurais bien voulu assister à un spectacle sur ce thème quand j’avais leur âge car on ne m’avait pas dit c’est quoi être papa. L’expression « daron » n’est pas tombée en désuétude. J’aime bien le son du mot et le fait que ce soit toujours un mot actuel alors que c’est un mot très ancien. Nous voulions aussi accrocher les jeunes spectateurs•rices avec ce titre.

    Loris : Je pense aussi que c’est lié aux cultures urbaines. C’est un mot que l’on entend dans les raps et cela nous intéresse de faire venir une jeunesse adepte de ce genre de culture qui, souvent, fait l’apologie d’une certaine masculinité toxique. Et à travers ce mot « daron », on voit souvent le père autoritaire qui punit et menace. Je trouve ça chouette de pouvoir réutiliser ce mot pour redorer le blason des papas. Nous souhaitons à la fois attirer les jeunes et montrer une forme de paternité plus douce. À travers ce projet, on veut défendre que les darons peuvent faire des câlins, les changer, les balader en poussette. Le spectacle n’aurait pas eu le même écho s’il s’était appelé « papounets ».

  • Si je comprends bien, vous voulez vraiment déconstruire cette image du père autoritaire et qui ne s’implique pas dans la vie de ses enfants ?
  • David : Nos pères à nous viennent de ce modèle-là qui, heureusement, commence à s’essouffler. Loris parlait de la masculinité toxique et on commence à la pointer du doigt grâce à l’avènement du féminisme et la libération de la parole, mais c’est encore très présent dans notre société. Tout comme la lutte contre l’homophobie et le racisme, ce sont de vieux combats.

  • Quelles ont été vos principales sources d’inspiration ?
  • Loris : Tout d’abord, nous avons nous-mêmes avant tout, nos propres questionnements et doutes que nous avions envie de mettre en lumière. Nos propres pères, tous les papas que l’on a rencontrés dans les cercles de paroles et certains podcasts comme Papa Plume qui est un papa actif sur Instagram nous inspirent aussi. Cependant, j’ai eu des difficultés à trouver des inspirations dans des écrits. Par exemple, comme livres, j’ai « Devenir papa pour les nuls » et « Le guide de survie du jeune papa », ce qui laisse entendre qu’il faut survivre à quelque chose de terrible. En revanche, il n’y a pas ces titres-là pour les femmes. Par exemple, j’ai offert un livre incroyable à ma femme pendant sa grossesse, qui s’appelle « La naissance en BD : découvrez vos supers pouvoirs ». Je trouve qu’il y a un énorme fossé qui divise les parents, comme si la mère avait des énormes pouvoirs et qu’elle pouvait tout gérer toute seule tandis que pour les pères, les mots « nul », « survie » et « guide » reviennent souvent, insinuant qu'ils ont besoin d’être aidés. Peut-être que des mamans voudraient « le guide de survie de la maman » et des papas qui voudraient « Découvrez vos supers pouvoirs de papa ».

    David : Dans nos inspirations, il y a aussi les podcasts comme « Le podcast des Maternelles », « Le Cœur sur la table » et « Matrescence ». Loris et moi avons également tourné l’épisode 25 du podcast pour « Bulle de Sage-femme », qui est la maison de naissance de Seneffe.

  • Que voulez-vous faire passer comme messages au public qui assistera à votre spectacle ?
  • David : C’est très intéressant comme question car on est en train de se la poser actuellement. Nous élaborons le spectacle donc nous sommes toujours en phase de préproduction. Le message, c’est qu’il y a une place qui est là. Nous, la nouvelle génération, nous sommes là et nous sommes prêts à incarner ce rôle. La figure du père n’est pas insaisissable, mais évolue avec les époques. Nous sommes les papas d’aujourd’hui et de demain et nous faisons en sorte que ce spectacle soit une modeste contribution dans un cheminement de pensée pour ceux et celles qui y assisterons. La question de la paternité est de plus en plus équitable.

    Loris : Dans un premier temps, j’aimerais faire passer comme message que la paternité moderne est possible et existe. Et aussi, « vous n’êtes pas seuls » dans tous ces chamboulements et le « vous » recouvre à la fois les papas et les mamans. Le papa n’aide pas la maman, la maman n’aide pas le papa, on est à deux. Personnellement, je me suis senti très seul pendant la grossesse et l’accouchement, même si j’avais d’autres gens autour de moi. Voir des pères qui en parlent et qui le vivent peut aider à libérer une parole chez les hommes.

    David : Je pense que c’est grâce à la libération du féminisme où les femmes nous montrent l’exemple. Elles osent non seulement parler, mais aussi dénoncer ce qui ne va pas et c’est inspirant.

    Loris : Je suis allé dans un salon qui s’appelle Naître et Grandir en douceur, organisé par La bulle et on a la chance de participer à la prochaine édition. Beaucoup de stands étaient tenus par des mamans et très peu, par des papas. S’il n’y a pas de stand tenu par des papas, pourquoi je n’en fais pas un. Si nous n’agissons pas, rien ne bougera. À moi de produire au moins une petite pierre à cet édifice pour aider certains pères afin qu’ils se rendent compte qu’ils peuvent faire un petit pas eux aussi.

  • Avez-vous déjà une idée des endroits où vous allez vous produire ?
  • Loris et David : Non, pas encore.

    David : En revanche, on a deux interventions organisées avec Le Cocon car il va fêter ses 10 ans. Nous serons donc le 23 mars à Tour et Taxi où une restitution de témoignages sera prévue. Si des personnes sont intéressées et souhaitent venir, nous serons là et nous pouvons recevoir des papas. On ne sait pas encore la forme que cela va prendre, mais on sera présents en tant que pères et porteurs de projet de Darons. On sera présents à La Bulle à Seneffe au salon Naître et Grandir en douceur le 13 et le 14 avril.

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    David Dumont

    Loris Legnaro

    Publié le 13 Février 2024 par

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