Queer : une exposition photo qui célèbre la diversité

Du 7 mars au 5 avril 2024, le Centre d'Action Laïque de Charleroi expose « Queer », une série de portraits signés Quentin Houdas, qui célèbre la diversité de la communauté LGBTQIA+. Lors du vernissage, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec le photographe et d’en savoir davantage sur son processus créatif.

Quentin Houdas
Quentin Houdas

  • Peux-tu te présenter et raconter ton parcours ?
  • Je m’appelle Quentin Houdas, et je suis photographe professionnel depuis une dizaine d’années. J’expose mon travail depuis une grosse quinzaine d’années. Mon domaine de prédilection en photographie est le portrait. En parallèle, je suis portraitiste pour la presse, collaborant avec de nombreux titres nationaux tels que Le Point, Challenge, L'Obs, et L'Avenir, où je capture des personnalités en images. Une partie de mon travail artistique inclut la série Queer, réalisée entre 2016 et 2017. J’ai également une activité pédagogique parce que je donne des cours de photographie, j’ai été prof d’arts plastiques pendant 9 ans dans un collège. Au niveau de ma formation, je suis diplômé en histoire de l’art, en photographie et arts contemporain. J’ai été étudiant à Tournai en Belgique pendant 6 ans à l’institut Saint-Luc où j'ai exploré les pratiques artistiques telles que le dessin, la sculpture, et l'art conceptuel, dans une section nommée « Concept ». J’ai 36 ans et je suis très content d’être en Belgique car ça me rappelle des souvenirs, même si c’est la première fois que je viens à Charleroi.

  • Tu as dit que tu étais venu à Tournai pour faire tes études, pourquoi ?
  • Étant originaire de la frontière française à Villeneuve d'Ascq, j'ai pris la décision d'intégrer cette école d'art à l'âge de 14 ans, car je ne me plaisais pas dans le système éducatif français et j'ai toujours eu une passion pour le dessin. Je faisais donc quotidiennement l'aller-retour pour suivre mes cours. Par la suite, j'ai obtenu mon diplôme en histoire de l'art à la Sorbonne, car j'avais besoin d'approfondir mes connaissances théoriques. Je crois que cette théorie se reflète dans les portraits de cette expo.

  • Pourquoi t’es-tu spécifiquement spécialisé dans les portraits ?
  • J’ai beaucoup de copains portraitistes et nous parlons parfois de notre rapport au portrait et on a tous un rapport assez différent. Personnellement, je considère le portrait comme une façon de rencontrer les gens, un moyen d'explorer des milieux que l'on ne connait pas. Par exemple, ce matin, j'ai réalisé des photographies pour un magazine mettant en lumière des professionnels du domaine biomédical, un univers totalement nouveau pour moi.

    À travers ces rencontres, on peut échanger avec les personnes photographiées, se cultiver et apprendre de cette façon.

    Il y aussi un rapport de force qui est assez intéressant, entre le photographe et la personne qui est prise en photo. Qui prend vraiment le pouvoir ? Le photographe crée l'image, mais le sujet tente d'influencer la pose pour se mettre en valeur et bien rendre à l’image. Ce n’est pas forcément la volonté du photographe. J’aime bien cette tension et cette négociation. Quand on travaille pour la presse, on doit parfois photographier des gens qui n’ont pas envie d’être montrés d’une certaine manière, surtout lorsque ce sont des personnes de pouvoir comme des hommes politiques. Dans cette situation, la tension est particulièrement palpable, surtout en ce qui concerne la contrainte de temps. Il arrive parfois que nous ayons seulement 5 minutes pour capturer quelques clichés, tandis que dans d’autres circonstances, nous bénéficions de plus de temps pour travailler ensemble et peaufiner le résultat.

    La relation de tension n'est pas vraiment présente ici parce que c'est fait en co-création. La question s’est posée avec les personnes que j’ai photographiées parce que je souhaitais travailler à partir du portrait pictural classique, mais en même temps, je voulais vraiment les faire participer. Par exemple, ils ont tous choisi les vêtements qu’ils désiraient porter. Je n'ai jamais demandé à ce qu'ils s’habillent avec de la fourrure, ce qui se retrouve dans beaucoup de portraits, mais c'est vraiment un hasard. J'ai essayé de construire ça avec eux, tout en ayant ma vision. Il y a aussi quelque chose dans la photographie que je trouve très nostalgique, de garder une trace du passé, le fameux « ça a été ». Cette dimension nostalgique me touche particulièrement donc j'ai toujours beaucoup de mal à revoir mes anciennes photos. Je ne fais pas du portrait pour rendre les gens beaux, ce n'est pas ça qui m'intéresse. Bien que la notion du beau et de l’esthétisme soit présente dans cette exposition, mon objectif principal, c’était plutôt de faire rentrer les gens dans l’histoire de la culture artistique occidentale. Pour moi, la photographie, c’est purement humain, mais cela reste aussi un travail solitaire.

    Plan d'ensemble
    Vernissage de l'exposition Queer

  • Qu'est-ce qui t’a poussé à explorer le sujet de la communauté LGBTQIA+ à travers la photographie ?
  • Pendant mon adolescence, lorsque j’avais entre 16 et 19 ans, j’avais les cheveux longs et je ressemblais très fort à une femme. C’était systématique que l’on me dise « bonjour madame ». J’étais vraiment très féminin, sans le vouloir particulièrement. On m’a toujours mis dans la case « gay » ou « trans », les gens étaient indécis et pourtant, ce qui m’intéressait, c’était les filles. J’ai beaucoup d’anecdotes où j’étais mis dans cette catégorie de la population et j’étais ami avec des personnes de la communauté LGBTQIA+, que je fréquentais beaucoup en école d’art. C’est ainsi que mon identité s'est progressivement construite. Par exemple, une fois, j’étais à Tournai dans un carnaval et je m’étais déguisé en femme parce que c’est la tradition et je me suis fait dragué et insulter. Je n’osais pas parler parce que s’ils entendaient ma voix d’homme, je sais qu’ils auraient été frustrés et ils se seraient énervés. Je me suis demandé ce que c’était qu’être femme, je l’ai vécu deux heures de ma vie alors que certaines personnes le vivent 24 heures sur 24 et ça m’a beaucoup interrogé.

    Après que le mariage pour tous soit légalisé en France, on s’est rendu compte qu’une minorité de la population y était opposée, comme en témoignent les manifestations. Ce n'est pas tant les manifestations qui ont inspiré ma série, mais plutôt les tensions politiques qui ont émergé en France, un sujet qui m'intéresse en tant que personne très engagée politiquement. La communauté LBGTQIA+ était un sujet que je souhaitais explorer depuis longtemps, et j'ai finalement eu les moyens techniques, artistiques et conceptuels pour le faire. J'ai réalisé cette série avec des ressources limitées, en utilisant du matériel d'occasion et en limitant mes déplacements. Presque tous les portraits ont été réalisés en région parisienne, à l’exception de quelques-uns à Villeneuve d’Ascq.

  • Comment as-tu sélectionné les portraits des personnes qui sont affichées ? Quelle a été ta démarche ?
  • Il était essentiel pour moi que ceux qui désiraient participer aient cette opportunité. Je crois que la première personne que j'ai photographiée était probablement Lucas. Je ne me souviens plus exactement de la manière dont nous nous sommes rencontrés, mais après cette séance photo, j'ai ressenti le désir de continuer cette démarche. Alors, j’ai publié un appel sur Facebook et j’ai demandé qui était intéressé. J'ai pris les 20 premières personnes. Une fois que ce quota a été atteint, j'ai clôturé les inscriptions.

    Lucas
    Lucas

  • Comment as-tu choisi l’endroit du shooting ? Pourquoi la nature ?
  • La nature a une vertu esthétique. À différentes époques, la question de la maîtrise de la nature par l'homme a été au cœur des débats, notamment lors de la révolution industrielle où l'arrivée de la machine a symbolisé ce contrôle et cette transformation de la nature. Cela soulève la question de ce que signifie contrôler ou dominer la nature, ainsi que notre rapport avec ce qui est considéré comme naturel. Ce qu’on a beaucoup entendu pendant les manifestations contre le mariage pour tous, c’était que ce n’était pas naturel. On entendait par exemple des personnes dire « Je n’ai rien contre, mais ce n’est pas naturel ». En plaçant mes modèles dans la nature, j’affirme qu’ils sont légitimes et qu’ils font partie de la nature.

  • Quel impact espères-tu avoir avec l’exposition Queer ?
  • En concevant cette série, j'ai eu en tête l'idée de créer quelque chose de simple, compréhensible même pour un enfant. J'ai cherché à trouver une approche simple, et il m'a semblé que l'esthétique et la beauté, pouvaient servir de porte d'entrée. Chaque photographie est accompagnée d'une légende courte et directe. Cette exposition vise à mettre en lumière les gens d’une manière différente de ce qu’on avait eu l’habitude de voir. Cette exposition vise à présenter les personnes queer sous un angle différent de ce à quoi nous sommes habitués. Bien que le sujet queer ait déjà été exploré et continue de l'être, il est souvent représenté de manière un peu « trash ». Il faut aussi faire ça, mais moi ce que je voulais, c’était de les faire rentrer dans l’histoire de l’art occidental. Des gens m’ont reproché que je faisais des portraits bourgeois, mais je voulais les faire rentrer dans une certaine norme et dans une esthétique académique, de musée, acceptée par tout le monde.

  • As-tu de futurs projets ?
  • Pour Queer, j'ai décidé de mettre en avant des individus seuls. Cependant, maintenant j’ai envie de traiter des questions plus larges, notamment celles liées au mariage pour tous et aux droits des couples homosexuels. Il y a également la question de la famille : qu’est-ce qu’une famille lorsque les parents sont homosexuels ? Il est important de mettre en valeur ces personnes. De nombreux enfants grandissent dans des familles avec deux papas ou deux mamans, et ils pourraient être confrontés à des situations difficiles à l'école. Même si la plupart sont encore jeunes, certains iront bientôt au collège, où le jugement est parfois impitoyable. C'est pourquoi j'ai envie de mettre en valeur des couples et des familles dans la même esthétique que l’expo Queer.

    L’exposition Queer de Quentin Houdas est une invitation à célébrer la diversité présente au sein de la communauté LGBTQIA+. Le photographe souhaite non seulement mettre en valeur les personnes queer, mais aussi les inscrire dans l’histoire de l’art occidental.

    Retrouvez Quentin Houdas sur :

  • Son site internet :
  • https://quentinhoudas.fr/

  • Facebook :
  • Quentin Houdas

  • Instagram :
  • quentin_houdas

    Publié le 13 Mars 2024 par

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